12 mars 2009
Habib Saïdi (Univesité Laval) et Sylvie Sagnes (CNRS France)
Quelle que soit leur échelle, les territoires usent et abusent de la mémoire, de la tradition, de l’histoire pour affirmer leur spécificité, dire leur identité. Cette réalité touche le patrimoine sous toutes ses formes, matérielles ou immatérielles. Plus que jamais partie prenante de la dynamique de reterritorialisation, le patrimoine s’impose comme référence et socle d’identification pour un pays, un département, une région, une ville, un village… C’est dans l’élan de ce mouvement que s’inscrit la réflexion proposée par l’IPAC (Institut du patrimoine culturel de l’Université Laval), le CELAT (Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions) et le LAHIC (Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire sur l’Institution de la Culture – Equipe du IIAC, CNRS – EHESS, Paris) à l’occasion du colloque projeté à Québec en novembre 2009.
Ce colloque se donne pour cadre et pour objet les capitales, lieux d’enquêtes et complexes objets de réflexion. Les capitales ne se pensent pas simplement pour elles-mêmes mais aussi dans leurs relations avec un ou des territoires (régions, provinces, Etats-nations, confédérations, unions, le monde) – relations de domination, de soumission ou de concurrence dont la diversité, voire la superposition, amène à considérer la capitale autrement que comme une simple caricature de la réalité urbaine contemporaine. Dans ce contexte, la question du patrimoine, de sa sélection, de sa conservation, de son instrumentalisation, du capital symbolique qu’il représente, revêt un relief singulier, encourageant aussi bien la comparaison à l’échelle des cinq continents que la multidisciplinarité.
Aux côtés des ethnologues à l’initiative de la rencontre, les sociologues, archéologues, géographes, et urbanistes qui se retrouveront à Québec en novembre 2009 tenteront d’expliciter les rapports que nouent les capitales avec leur patrimoine et d’en saisir le sens. Il s’agira donc de conjuguer les approches disciplinaires pour comprendre comment le patrimoine contribue à élever la ville à la dignité de capitale et participe de cette identité de « première », aussi riche que fluctuante.
Thèmes du colloque
- Le temps des capitales : entre passé et futur
La première contradiction qui s’impose est celle du double élan de ces villes premières vers le passé et le futur. En effet, toute grande ville valorise intensément les traces de son passé et de sa continuité dans le temps ; mais, par ailleurs, elle est le théâtre d’une densification de l’occupation et d’une spéculation foncière qui conduisent à un renchérissement continu de l’espace. Ce paradoxe central en génère un autre qui porte sur le traitement urbain des traces du passé. La capitale est toujours écartelée entre le souci d’exposer son histoire et celui de s’inscrire audacieusement dans le futur, entre la fixation muséale et le renouvellement permanent. - Capitales d’un temps, patrimoine de toujours
À songer à de grandes capitales, comme Rome, Athènes, le Caire ou Paris, l’on en viendrait à oublier que la qualité de « première » peut aussi s’avérer provisoire, articulée à des temporalités variables : plusieurs siècles, quelques années, quelques mois. Le statut de capitale, politique ou autre, n’est pas toujours et partout acquis une fois pour toutes. Comme il se gagne, il se perd. Quand la capitale déchue (Lyon, Vichy, Bonn…) fait place à la ville, de quel sens investit-on alors son patrimoine ? Sa valorisation ne sert-elle que des nostalgies de grandeur ? A l’inverse, son occultation ne fait-elle sens que rapportée au déni d’une histoire honteuse ou douloureuse ? Quant aux capitales nouvellement élues, quelle place accordent-elles au patrimoine ? - Entre particulier et universel
Comme elles prétendent à cette atemporalité, les capitales semblent disposées à l’universalité. Le patrimoine se prête particulièrement à ce type de rehaussement, non plus à l’échelle du temps, mais dans la hiérarchie de l’espace. Consacrée par le titre de « ville du patrimoine mondial » (Tunis, Alger, Le Caire, Mexico, Québec…), cette identité super-extensive se forge plus communément dans l’imaginaire touristique que ces métropoles forgent, à l’appui du même patrimoine, à l’intention de leurs visiteurs, venus de partout et de nulle part. Cette identité projective n’en est pas pour autant passe-partout et interchangeable. Autoreprésentationnelle, elle profite en quelque façon de l’audience globale pour éprouver sa spécificité et s’affirmer en tant que telle. - La bataille du patrimoine
Cette tension entre particularisme et universalité peut être regardée comme la conséquence du caractère de relativité de l’être capitale, ou plutôt comme une conséquence dans la mesure où elle en admet d’autres. Le rêve d’une primauté absolue, rêve éveillé pour celles qui se voient consacrées, à un titre ou un autre, capitales mondiales, n’empêche pas en effet la capitale de revendiquer et d’asseoir, à des échelles intermédiaires de territoires (nation, fédération), sa qualité de première. Partie prenante de cette autre manière d’exhaussement, le patrimoine local est alors appelé à prendre valeur nationale. - Entre pluriel et singulier
Sans doute parce que premières au sein d’espaces plus flous et intangibles que ne l’est la nation, parce que portées par d’autres intérêts que politiques, certaines capitales paraissent quant à elles plus déterminées à admettre et à promouvoir l’hétérogénéité de leur passé : Tunis se veut ainsi tout à la fois punique, romaine, arabo-islamique et franco-européenne quand Montréal reconnaît aussi bien ses héritages amérindien, français, anglais, écossais, irlandais, chinois, italien, grec, etc. L’on s’emploiera, au cours de cette rencontre, à repérer les accents de cette rhétorique patrimoniale de la diversité et à saisir ce qu’elle cherche à exprimer : relève-t-elle seulement d’une approche décrispée et apaisée de l’identité, favorisant l’expression de toutes les différences et leur reconnaissance ?Fondamentalement comparatiste, ce colloque international accordera néanmoins une attention particulière à la ville de Québec, qui, au cours de l’année 2008, a formé l’observatoire rêvé des enjeux patrimoniaux étudiés. Occupée à fêter le quatre-centième anniversaire de sa fondation, la capitale politique du Québec nous offre l’opportunité d’allers-retours constants entre la réflexion engagée et l’actualité patrimoniale la plus brulante.
PRIÈRE DE REMETTRE VOS PROPOSITIONS DE COMMUNICATIONS À [email protected] ET À [email protected] AVANT LE 15 AVRIL 2009.